dimanche 18 novembre 2018

Ton regard me maintient debout

Ce n’est pas la meilleure série de photographies, ce n’est ni la plus aboutie, ni la plus originale, ni la mieux composée, mais c’est celle qui vous accompagne, qui vous fait dire lorsque vous rencontrez un autre témoin de cette exposition :
Tu te souviens les autoportraits ? La jeune fille ?
- Oui, je me souviens.
Ce jour-là, elle présentait des polaroids liftés sur des feuilles cartonnées. Il avait fallu dépiauter la photographie, la plonger dans l’eau tiède, la laisser mollir et très doucement, à l’aide d’un petit pinceau, repousser l’émulsion. Puis l’étendre à coups légers, sur le nouveau support. Enfin laisser sécher. Si vous déchirez la gélatine, c’est fichu. A moins que vous ne souhaitiez une image brisée. Si l’eau a été souillée, l’image risque d’en porter les  traces. Le lift de polaroid est une opération unique et sans retour en arrière.
Elle livrait des autoportraits, les plus rapprochés possibles. Il fallait deux prises pour faire un seul visage, un pour chaque côté. Une couture sinusoïdale semblait les lier.
Ses yeux vous disaient :
- Regarde, j’allais tomber, j’étais au bord de l’effondrement, et pourtant me voilà, en face de toi et je ne cille pas. A me regarder, tu me maintiens debout, alors regarde ! Je ne suis pas tombée et je ne tomberai plus. Je suis encore là, je te le dis, je te le montre, je suis debout et je n’ai pas brûlé, je suis juste un  peu plissée.
 Le spectateur repart. Il emporte contre lui le précieux don qui vient de lui être fait par cette jeune fille s’exposant dans sa plus grande vulnérabilité, et qui par ce don est devenue intouchable.



Sur la série d'Ambre Simard, réalisée dans le cadre de l'atelier intensif de photographie de l'école d'architecture de Malaquais