jeudi 13 octobre 2016

Ciel-et-Terre

 © Angeline Leroux


Sur la série Cristal, Les choses, d’Angéline Leroux




Ciel-et-Terre est comme un soufflet
Vide et pourtant inépuisable
Plus il s’active plus il évente
On a beau en parler nul ne peut le sonder
Mieux vaut rester au centre.
La voie et sa vertu, Tao-Tê-King
Lao-Tzeu











On dit que les cristaux de neige se développent selon une logique qui n’appartiendrait qu’à eux.
Selon le Docteur Masaru Emoto une eau exposée à un message bienveillant développera de splendides cristaux une fois congelée. Inversement, si elle est soumise à des pensées négatives, elle formera des cristaux incomplets, asymétriques et ternes.
On dit beaucoup de choses et ce n’est pas nouveau.

Les cristaux d’Angeline Leroux ne disent rien, pas même leur dimension, et c’est peut-être là que se trouve leur puissance, dans l’absence de profondeur de l’image, dans le blanc brûlé de leur clarté.
Ils sont éclairés d’une lumière muette, dont on ne connaît ni la nature, ni la direction, une lumière rendue inapte à lire des volumes, à dire quelque chose du temps qui passe. On chercherait un fond ? On trouve des striures. Une échelle ? Aucun indice. Une surface ? Toutes sont pareillement traitées. Le nom de l’œuvre nous indique qu’il s’agit bien d’un cristal. Pas d’un dessin, ni d’une abstraction. Est-il tout petit, prêt à orner une main aux doigts délicats ou immense, météorite surgie du fond des temps pour se poser là, face à nous ? A-t’il des vertus insoupçonnées ou même simplement une couleur ?

A voir ces images se refusant aussi ostensiblement à moi, je ne peux qu’avoir envie de les amadouer, de les remplir de mots, d’émotions, de vertus, de tout ce que je suis. Je m’y perds et m’y retrouve (peut-être). Alors même que je les sais inoxydables, je leur tisse un linge de mots pour les couvrir et les chérir. Je vais les emmailloter, jusqu’à apprivoiser le vide qui s’ouvre devant moi. Puis quand je serai rassurée, j’entrerai dans l’image.

Sans peur.


 © Angeline Leroux
 © Angeline Leroux
 © Angeline Leroux

« A l’intérieur des yeux fermés, fermer encore les yeux, alors même les pierres se mettent à vivre. » Les ailes du désir, Peter Handke

dimanche 9 octobre 2016

Une nuit très jaune

© Karin Crona

Sur des dessins de Karin Crona :







« Démon retombe dans son sommeil. Il voit une sorte d’oiseau rouge et feu, avec un bec doré, qui lui déchirait la poitrine et cette nuit-là a exigé qu’elle se donne entièrement à lui. » Virginie Despentes, Les jolies choses.















Dans ses linogravures, Karin Crona nous invite dans le monde sombre de ses peurs, de ses craintes, mais aussi de ses rêves et secrets. Un univers peuplé d’animaux fantastiques, d’improbables étoiles, de tendres campanules, de nuages semblables à des tentures.

Une lampe torche à la main, elle nous propose de révéler une pénombre qu’on pourrait croire n’être peuplée que de cris. La lumière est alors promesse d’un secret révélé, les messagers se présenteront, les morts se tiendront à distance et, enfin, l’enveloppe sera ouverte. Peu à peu la lumière va envahir l’image et en dessiner la profondeur.Peut-être finira-t’elle par prendre le pas sur l’obscurité, qui sait?



© Karin Crona
© Karin Crona
© Karin Crona

mercredi 5 octobre 2016

De l’autre côté du souvenir


©Nathalie Déposé

Sur une série photographique de
Nathalie Déposé






Le dispositif est simple.
D’un côté, la nature morte met en scène les petits cailloux blancs du souvenir : une épuisette, un panier, un chapeau, une casquette, une revue, un chien, une cagette. Chacun de ses objets porte l’une des multiples dimensions de la mémoire, cette casquette, je la portais le jour où, et cette veste est celle de la première fois. L’objet est témoin et preuve du ça a été. Mais il est aussi ce qui rend possible son évocation aujourd’hui.



De l’autre côté, la nature vivante. Une scène champêtre où s’égaient les personnages. La scène est tellement réelle qu’elle ne peut-être que fausse. De fait elle n’appartient que partiellement au temps présent, c’est un souvenir, avec toute son aura de merveilleux et d’innocence.
Rien d’évident dans la re-création d’un souvenir. Déjà l’exhumer n’est pas facile, il faut explorer les limbes de la mémoire individuelle et familiale, partir en explorateur, confronter les versions, accepter qu’il ne ressemble en rien à ce qui a été. Puis il faut le tracter jusqu’au présent. La mère de la photographe qui partait dans les bois son panier à la main ne veut plus y aller. Il y a des bêtes ma chérie. Se laissera-t’elle convaincre de partir sur les traces de ces émotions déjà vécues et pour elle disparues ? Le père n’est pas sûr de savoir encore où se trouve sa canne à pêche.
Enfin les acteurs du souvenir se prennent au jeu. Trente ans plus tard, ils vont reprendre l’épuisette abandonnée dans le grenier pour pêcher des écrevisses disparues des rivières entre-temps. On part en famille chercher des champignons. Comme avant. Et l’on s’émerveille encore du poisson fraîchement pêché qui frétille dans la paume.
Dans la scène que ses parents recréent pour elle, ne manque que la fille.
Elle est passée de l’autre côté du souvenir.
Elle est devenue grande.
Et photographe.
Photographe surtout.



©Nathalie Déposé